- PHOTOGRAPHIE (art)
- PHOTOGRAPHIE (art)Depuis les années 1960, la photographie créatrice non seulement obtient droit de cité parmi les autres arts, mais encore inspire bien souvent leurs démarches. Elle, dont le problème fut toujours de s’affirmer comme art sans en imiter aucun, se trouve à son tour imitée mais ne doit pas pour cela laisser dissoudre ses qualités particulières.L’hyperréalisme (qui est surtout un photoréalisme), le body art, l’earth-art et l’art conceptuel adoptent la photo comme un modèle d’objectivité ou un moyen relativement neutre de communiquer un acte ou une pensée à l’état pur. Cependant, dans l’incertitude où elle est encore de sa situation parmi les arts, la photographie proprement dite continue de tirer une constante interrogation sur ses caractères spécifiques. La voici donc d’emblée là où en sont les autres arts depuis quelque temps: se définir par une perpétuelle mise en question de sa définition.Comme chaque discipline technique accédant au niveau de la création, la photographie est tenue de s’envisager tout entière comme espace de création. L’épanouissement actuel ne signifie pas le repliement de l’expression photographique sur un seul genre, plus «artistique» et sophistiqué. Certes, l’amateur comprend de mieux en mieux le long et délicat travail nécessité par un tirage de qualité et qui interdit, bien plus encore que pour la gravure, toute multiplication industrielle. Mais il n’empêche que la création personnelle reste plus que jamais présente et ouverte dans tous les genres quotidiens de la photo, à commencer par le reportage et l’illustration. Un des signes de cet achèvement culturel est qu’aucune tendance ni aucune technique n’en sont désormais exclues. Depuis le photomaton jusqu’aux manipulations raffinées qui nécessitent l’exemplaire unique, tout est donc possible au royaume de la création photographique.Il fallait pour cela surmonter les vieux tiraillements entre une photo objective et réaliste et une photo subjective. Libre de déformer les données de la réalité, contrainte de renoncer à atteindre l’objectivité totale, mais aussi obligée d’abandonner l’espoir de se passer du reflet de la réalité, la photographie actuelle tend à renoncer à ces querelles et à les dépasser en manifestant que le constat photographique le moins manipulé est tout autant constat sur la vie intérieure du photographe. L’image du monde extérieur met à nu un instant vécu par celui qui l’a saisie. Et, comme le pressentait déjà Minor White, la photographie tend à rejoindre, avant même les autres arts, ce point radical où voir et découvrir sont aussi inventer, et même plus qu’inventer, créer.Un art en plein essorLa photographie – art de fixer la trace de la lumière – occupe une place grandissante dans la culture de notre temps. Les signes en sont nombreux, avec une avance marquée des États-Unis où Alfred Stieglitz (1864-1946) la fait entrer dans les musées dès le début du XXe siècle, où le département de photographie du Museum of Modern Art de New York est créé en 1940, où Kodak fonde la George Eastman House (aujourd’hui International Museum of Photography) en 1949; sans compter le rôle traditionnel de la Library of Congress de Washington, du Metropolitan de New York et du musée de Philadelphie. La présence de la photo au musée est devenue, là, normale; citons, parmi les plus dynamiques: le Fogg Art Museum (Harvard University) de Boston, l’Art Institute de Chicago, le Museum of Art de San Francisco, le Center for Creative Photography à Tucson (Arizona). En 1974, Cornell Capa fondait l’International Center of Photography à New York, avec ses collections, ses expositions, ses conférences... Au Canada, ce sont les collections de la Galerie nationale d’Ottawa et l’activité de l’Office national du film. En Europe, le temps perdu se rattrape autour des collections déjà anciennes du département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale, de la National Portraits Gallery et du Victoria and Albert Museum de Londres, du Folkwang Museum d’Essen, du Museum Ludwig à Cologne, du Prentenkabinet de Leyde (Pays-Bas). Des centres nouveaux s’ouvrent ou sont établis: au musée de l’université de Parme (Italie), au Kunsthaus de Zurich (Suisse), au Stedelijk Museum d’Amsterdam, au Moderna Museet de Stockholm, au musée des Arts décoratifs de Prague, à Lodz en Pologne, à Siaulai en Lituanie. En Australie, il y a l’Australian Center for Photography de Sydney. En France, le musée Nicéphore-Niepce de Chalon-sur-Saône, la galerie municipale du Château-d’Eau à Toulouse témoignent du dynamisme de la province. À Arles, le musée Réattu est inséparable d’un festival annuel qui est la plus grande rencontre mondiale d’auteurs et d’amateurs. Enfin, en 1978, le congrès de Mexico a montré l’éveil à elle-même de la photo latino-américaine.Un autre signe de la vitalité de la photographie est l’essor des galeries privées qui commercialisent les photos comme œuvres d’art, parfois en tirage limité, bien que cet article n’ait pas beaucoup d’importance aux yeux du véritable amateur. Les États-Unis, là aussi, ont donné l’exemple, et si les tentatives méritoires de Julien Levy, en 1932, et de Helen Gee, en 1954, furent prématurées, on a assisté à la réussite de Lee Witkin à New York depuis 1969 et de Harry Lunn à Washington depuis 1971. De fameux marchands ont suivi, comme Sydney Janis, Castelli, Marlborough, Zabriskie, Sonnabend, et on compte aujourd’hui par centaines les galeries de photos aux États-Unis. En Europe, après Il Diaframma (Milan) en 1967 du pionnier et grand animateur Lanfranco Colombo, on a fondé des galeries de plus en plus nombreuses qui ont parfois réussi: à Londres (Photographers’ Gallery de Sue Davis), à Southampton, à Vienne (Autriche), à Amsterdam, à Cologne, à Aix-la-Chapelle, à Berlin, à Barcelone, à Madrid (où le Fotocentro, né du mécénat privé, déborde de beaucoup l’activité d’une simple galerie)... À Paris, une galerie comme celle d’Agathe Gaillard et quelques autres ont déjà fait largement leurs preuves. La revue multilingue Print Letter , de Zurich, suit ces activités. Les périodiques consacrés à la photographie sont nombreux, mais peu sont d’une tenue véritablement artistique. Aux États-Unis, Aperture est un modèle de raffinement, mais Afterimage , organe du Visual Studies Center de Rochester, animé par Nathan Lyons, est la meilleure revue pour ses textes. En Europe, Camera (Lucerne) est une classique de portée internationale; Creative Camera (Londres) suit la jeune photographie. Jusqu’à Zagreb (Croatie) avec Spot et jusqu’en Australie avec Light Vision , d’heureuses tentatives voient le jour. Le domaine de l’édition de livres de photos est trop diffus pour être même résumé ici, mais en France Robert Delpire, les éditions du Chêne, en Allemagne Schirmer and Mosel, aux États-Unis Aperture, Lustrum Press doivent être cités, comme les courageuses tentatives que représentent Contrejour et Créatis à Paris. D’ailleurs, les jeunes photographes tendent à s’exprimer le plus directement possible en assumant eux-mêmes la diffusion de leur travail. Cependant que de luxueux et très coûteux portfolios de photos véritables en tirage limité (chez Parasol Press, Lunn, Castelli, Sonnabend...) sont dignes des éditions de gravure originale.Ce n’est qu’aux États-Unis que l’appartenance de l’enseignement de la photographie au domaine de la culture est reconnue: à l’université de Princeton, à l’Institute of Design de Chicago, au Massachusetts Institute of Technology, au Rochester Institute of Technology, à la San Francisco State University, à Albuquerque (New Mexico). L’Europe souffre d’un retard considérable en dépit de la qualité de professeurs comme Otto Steinert et ses successeurs à Essen, de Floris Michael Neusüss à Kassel (Allemagne), de Jean-Pierre Sudre en France, et de la Trent Polytechnic School de Nottingham.Les mouvements nés au cours des années 1950Les tendances actuelles ont leurs racines les plus immédiates dans trois mouvements principaux des années 1950: le reportage humaniste, la photographie de libre expression ou «subjective», la photographie comme vérité intérieure de l’artiste. C’est autour de ce dernier problème que, depuis les années 1970, s’est manifesté l’essentiel de la création photographique alors que l’opposition entre photo-témoignage et photo-subjective tendait à être surmontée.Le documentaireLa grande période du reportage, commencée avant la guerre (généralisation de l’appareil 24 憐 36 mm, fondation de Life en 1936), se poursuit au lendemain du conflit (fondation de l’agence Magnum en 1947) avant que la télévision ne vienne gêner ses débouchés (disparition de Life en 1972). Le symbole et le héros en est Eugène Smith (1918-1978, États-Unis), dont les images puissamment expressives plaident pour des causes généreuses, telle la dénonciation de la pollution industrielle criminelle (Minamata , 1975). Le point d’équilibre parfait en est l’œuvre, toujours continuée, de Henri Cartier-Bresson (1908, France) qui a donné la meilleure définition du genre: «La photographie est, dans un même instant, la reconnaissance d’un fait en une fraction de seconde et l’organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment la signification de ce fait.» Cartier-Bresson qui avoue sa dette envers André Kertész (1894-1985, Hongrie puis États-Unis), dont l’œuvre reste un modèle pour les plus avancés.Ce courant de la photo comme témoignage sur l’humain a trouvé sa plus brillante illustration dans l’exposition Family of Man organisée par Edward Steichen en 1952. Mais il allait aussi y trouver ses limites, dénoncées par Roland Barthes qui, dans Mythologies (1957), y décelait un système de reproduction d’idées générales toutes faites sur la nature humaine, alors que le vrai privilège de la photographie est de saisir des situations uniques et particulières, donc historiques. Plus récemment, Victor Burgin, réfléchissant sur le rapport entre art et langage, démontait les mécanismes qui lient le sens à l’image, et Susan Sontag montrait qu’ils sont loin d’être toujours innocents.C’est en 1958 que paraît le livre de Robert Frank (1924, Suisse puis États-Unis), Les Américains , édité d’abord en France par Robert Delpire, car il fut repoussé par les Américains eux-mêmes. Loin d’y rechercher les moments conventionnellement significatifs, Frank y montre les instants absurdes du quotidien à la fois haché et monotone, et d’autant plus vécus qu’ils ont moins de sens. En 1956, le livre New York , édité aussi en France, de William Klein (1928, États-Unis), peintre devenu photographe avant de devenir cinéaste, va ouvrir une autre issue au reportage en acceptant les données brutes de l’instantané photographique (gros plan, grain) avec la violence propre au monde où nous vivons.Les portraits de Diane Arbus (1923-1971, États-Unis) n’ont recours à aucun artifice pour crier l’irrémédiable: malheur ou bêtise, solitude et folie. Issue partiellement de Lisette Model (1906-1983, Autriche puis États-Unis), celle-ci marquée par l’insolent Weegee (1899-1969, États-Unis), l’œuvre de Diane Arbus exerce une fascination intense sans guère se laisser imiter, bien que les portraits glacés de Richard Avedon (1923, États-Unis), les poupées inquiétantes de Rosalind Solomon (1930, États-Unis), les nus délirant d’Allen Dutton (1922, États-Unis) ou impavides de Jean-François Bauret (1932, France) puissent lui être comparés.La photographie subjectiveLa photographie de libre expression ou photographie subjective a eu une vogue parallèle à celle de l’art abstrait en peinture. Aux États-Unis, László Moholy-Nagy (1895-1946), venu du Bauhaus, enseignait à Chicago l’intégration des procédés photographiques à une expérimentation plastique totalement libérée (jeux de lumières-photogrammes). Il marqua Harry Callahan (1912, États-Unis) et Aaron Siskind (1903-1991, États-Unis) et leurs élèves. De leur côté, Francis Bruguière (1880-1945, États-Unis), Frederick Sommer (1905, États-Unis), Henry Holmes-Smith (1909, États-Unis) ont utilisé les papiers découpés, les produits étalés sur une plaque de verre, les superpositions pour créer des images abstraites. Mais c’est en Europe que la photographie subjective se constitua en un ensemble coordonné de recherches grâce au professeur Otto Steinert (1915-1978, Allemagne) depuis 1949, d’abord à Sarrebruck puis à Essen (1959), et à ses expositions collectives à partir de 1951. En France, le groupe Libre expression, animé par Jean-Claude Gautrand (1932), réunit des talents jusque-là isolés. Il s’agit d’une photo considérée comme une enquête sur ses propres moyens et comme une création personnelle autonome, attentive aux formes en tant que formes et libre de déformer l’apparence immédiate de la réalité. Les bornes techniques, les limites objectives à l’objectivité absolue en photographie – qui sont le cadrage qui isole la réalité, la perspective particulière, l’instantanéité qui exclut le mouvement, etc. – justifient toutes les initiatives du créateur.Le dynamisme libérateur de cette tendance n’a pas pu, cependant, rendre compte de toute la diversité de la vie photographique. Il conduisait à une hiérarchie de valeurs entre la photo comme simple copie de la réalité, la photo comme interprétation personnelle et la photo comme pure création. Hiérarchie qui se détournait de cette donnée première qu’est la soumission à la réalité. C’est pourtant là l’originalité irremplaçable de la photographie. Alfred Stieglitz l’avait compris, et Paul Strand l’avait proclamé: «L’objectivité est l’essence même de la photographie [...] et chaque médium n’atteint le maximum de ses possibilités que par la pureté dans son utilisation.» Et rien ne peut aller contre la phrase de Villem Flusser: «L’objet est la signification de la peinture et la cause de la photographie.»Certaines œuvres, bien qu’apparentées à l’art abstrait, ont su respecter les données profondes de la photographie et maintenir leur présence auprès des jeunes créateurs. En 1961, l’Anglais Bill Brandt (1904-1983) – déjà connu par son regard hautain, ironique et sombre sur la société de son pays – fait scandale par son livre Perspective sur le nu . Un objectif grand angulaire y transforme le corps humain en sculptures dignes de Henry Moore. Mais c’est bien plus encore une méditation sur la vision photographique. Ami des peintres gestuels américains, qu’il inspira parfois, Aaron Siskind retrouva leurs formes dans les maculatures des murs et des affiches déchirées, mais son exaltation de l’objet trouvé par le cadrage reste avant tout une démonstration photographique. Harry Callahan a su ne rien rejeter des possibilités de son art, y compris les subtilités de laboratoire, mais c’est pour atteindre au chant d’amour de la série Eleanor (1984) et à la pureté infinie de cette série de plages. Yasuhiro Ishimoto (1921), quant à lui, a porté son influence au Japon. Mais pour Callahan et ses disciples, l’influence de Minor White fut aussi importante que celle de Moholy-Nagy.L’intériorisationMinor White (1908-1976) est le représentant le plus typique du troisième courant d’influences qui a marqué la photographie créatrice contemporaine. En 1952, il fonde, avec Walter Chappell et quelques autres, la revue Aperture consacrée au problème de la communication en photographie. Mû par un intense désir de fusion spirituelle avec la nature et avec Dieu, White en vient à saisir une réalité totalement transfigurée par la vision intérieure; regardant et regardé se confondent dans une union mystique. Mirrors , Messages , Manifestations (1969) est à la fois un livre de photographies, de poésie et de religion (le catholicisme aussi bien que le bouddhisme zen). L’enseignement de White (au Rochester Institute of Technology, puisau Massachusetts Institute of Technology de Boston) eut une influence considérable. Mais il aboutissait à une attitude purement contemplative et idéaliste qui, elle aussi, négligeait la part d’objectivité essentielle à toute photographie.Très différente et cependant parallèle à celle de White, l’œuvre de Walker Evans (1903-1975, États-Unis) a pris une importance grandissante. Partisan d’une photo «totale, franche et pure», pour lui la qualité suprême d’une photographie est d’enregistrer les détails précis de la réalité. Ses constats directs de la condition américaine après la grande dépression, dans le cadre de la Farm Security Administration, en témoignent. Mais en même temps Evans refuse de croire à l’objectivité parfaite du document photographique. Même et surtout lorsqu’elle est pure de toute manipulation intentionnelle, une photographie apporte aussi un témoignage sur un moment de la vie intérieure de son auteur. Et le titre du livre Messages from the Interior (1966) le dit bien.Ayant cité quelques phares dont l’œuvre, interrompue ou continuée, exerce une fascination particulière sur la jeune photographie, reprenons les trois grands aspects (le documentaire, l’imaginaire, l’intériorisation), et tâchons de suivre les développements actuels des tendances principales de la photographie.Les développements actuelsDu reportage classique aux expressionnismesLe reportage classique est toujours vivant. Pensons à la tradition parisienne des Brassaï (1899-1984) et des Izis (1911-1980; Paris des rêves , 1950). Même face aux idées les plus avancées, un Robert Doisneau (1912-1994, France) garde sa présence, car sa bonté et son humour restent ouverts sur l’ambiguïté de la condition humaine. En Angleterre, Bert Hardy (1913) a aussi cette qualité comme l’eut le Suisse Gotthard Schuh (1898-1969). Aux États-Unis, Bill Owens (1938), illustrateur des petits bourgeois banlieusards (Suburbia , 1973), en présente une version plus grinçante. L’agence Magnum reste fidèle à sa réputation, grâce, entre autres, à Marc Riboud (1923, France), à Raghu Raï (1942, Inde), à Hiroshi Hamaya (1915, Japon). René Burri (1933, Suisse) y apporte sa version coupante très actuelle, Leonard Freed (1929), sa grandeur dramatique (reportage sur la police à New York), Mary Ellen Mark (1941, États-Unis), son ironie et sa pitié. Des agences plus jeunes comme Viva (Paris) répugnent au sensationnel pour se consacrer à la condition ordinaire des gens: Claude Raimond-Dityvon (1937), Guy Le Querrec (1941), Hervé Gloaguen (1937), l’Américain Richard Kalvar (1944). Jean-Philippe Charbonnier (1921, France) unit richesse des formes et qualité humaine.Ce goût du banal quotidien rejoint souvent le grand courant américain que Nathan Lyons a dégagé dans ses expositions collectives de Rochester. Ce courant, issu de Robert Frank, ne cherche plus à mettre en valeur le sens supposé des situations mais le non-sens que seul révèle le hasard photographique. Démolissant l’ordonnance ordinaire des choses par une subversion systématique de tous les points de repère, Lee Friedlander (1934, États-Unis) reconstitue à partir de ces débris une structure nouvelle et extraordinairement rigoureuse (The American Monument , 1977) qui n’est pas dénuée de poésie, comme dans sa série des jardins. Friedlander maîtrise la surabondance écœurante des objets artificiels comme Garry Winogrand (1928-1984, États-Unis) exprime les solitudes ou les étranges rencontres d’une humanité hagarde et automatisée. Burk Uzzle (1938, États-Unis), avec une élégante sûreté, Charles Harbutt (1935, États-Unis), avec un lyrisme parfois visionnaire. Elliott Erwitt (1928, États-Unis), avec beaucoup d’humour, le Japonais Ikko (1931), avec son impeccable froideur, et Tony Ray-Jones (1941-1972), sans renier, lui, son humour britannique, évoquent notre monde tronçonné en situations incommunicables. L’Europe a suivi largement avec les compositions rigoureuses et poétiques de Raymond Moore (1920, Grande-Bretagne), de Heinrich Riebesehl (1938, R.F.A.), de John Vink (1948, Belgique), de Roberto Salbitani (1945, Italie). En France, après le précurseur Jacques Darche (1920-1965), Bernard Plossu (1945), Bruno Réquillart (1947), Edouard Kuligowski (1946), Bernard Descamps (1947) explorent aussi cette voie. Au Japon, Shoji Ueda (1913), Shimei Tomatsu (1930), Daidoh Moriyama (1938) ont réalisé des visions très intériorisées et pourtant objectives.Depuis peu d’années, cette manière à la fois impassible et corrosive s’est exprimée par la couleur, notamment chez les Américains Stephen Shore (1947), Joel Meyerowitz (1930), Willian Eggleston (1939), Neal Slavin (1941), chez le Français Hervé Gloaguen, et, avec une ironie plus efficace encore, chez l’Italien Luigi Ghirri (1943).Tous ces constats décapants de l’absurdité quotidienne, de la solitude figée et fascinante des objets et des gens, laissent cependant sa place à une photographie qui s’accommode d’une grande sérénité, et même d’un sens du bonheur, et sans pour cela tomber dans l’anecdote, les clichés moraux ou sociaux désormais si souvent dénoncés. Ses maîtres plus lointains sont Paul Strand (1890-1976, États-Unis) et Auguste Sander (1876-1964, R.F.A.) et aussi le Mexicain Manuel Alvarez Bravo (1902), chantre des beautés profondes de son pays. En France, Édouard Boubat (1932) symbolise cette tendance (La Survivance , 1976), tout est pour lui émerveillement devant la noblesse du geste et la pureté de la lumière. Pureté que rejoignent, par le refus de tout effet, Gilles Ehrmann (1928, France) et le grand portraitiste Bernard Poinsot (1922-1965, France). Même dans les ghettos noirs misérables, Bruce Davidson (1933, États-Unis) sait voir la dignité humaine (East 100th. Street , 1970) qu’expriment aussi Constantine Manos (1934, États-Unis) avec ses paysans grecs, et Claude Sauvageot (1935, France) jusque dans ses témoignages sur la misère du Tiers Monde, selon la grande tradition de Werner Bishof (1916-1954, Suisse).L’abus de la couleur dans les publications contraint beaucoup de reporters à en faire malgré eux. Mais certains artistes, Helen Levitt (1918, États-Unis), Marc Garanger (1936, France), Bruno Barbey (1941, France), Hans Silvester (1938, R.F.A.), y ont montré un talent exceptionnel.La réalité atroce de la guerre ne supporte pas la stylisation ni l’indifférence, et ici l’image photographique tire sa triste beauté de sa véracité même. Comme les pionniers Robert Capa (1913-1954, États-Unis) et David «Chim» Seymour (1911-1956, États-Unis), Gilles Caron (1939-1970, France), Larry Burrows (1926-1971, États-Unis) y sont morts. Après David Douglas Duncan (1916, États-Unis), Philip Jones Griffiths (1936, Grande-Bretagne), Don McCullin (1935, Grande-Bretagne), Romano Cagnoni (1935, Italie) dénoncent au monde les souffrances du Vietnam, du Biafra, de Chypre et d’Irlande. L’expressionnisme intense de leurs images, issu du sujet même, évoque la violence d’un Willian Klein et tout un courant où le reportage et l’illustration se servent des oppositions puissantes du noir et blanc, et finissent par rejoindre, à force de volonté expressive, les démarches les plus subjectives. David Hurn (1935, Grande-Bretagne), montrant la fatuité de la high society , Jürgen Heinemann (1934, R.F.A.), la tristesse des tropiques, Mario Giacomelli (1925, Italie), avec une intensité inégalée, Joseph Koudelka (1938, Moravie), avec une grandeur et une compassion admirables (Gitans , 1975), le Lituanien Aleksandras Macijauskas (1938) atteignent à une vision épique et ont parfois recours à la déformation.C’est ici que la distinction peut paraître arbitraire entre une photographie documentaire et une photographie soumise à l’imagination. Ainsi le reporter illustrateur hollandais Aart Klein (1909) évoque les grands travaux d’aménagement de son pays à travers un système de simplification graphique, tandis que l’Américain Wynn Bullock (1902-1975) enregistrait toutes les finesses de détails de paysages qui n’en sont pas moins imprégnés d’une philosophie très personnelle. Le plus parfait équilibre entre l’auteur sujet et le modèle objet avait été atteint par Edward Weston (1886-1958, États-Unis), mais même alors une inquiétude s’était glissée dans ses derniers paysages de cyprès tordus et d’érosions étranges (My Camera on Point-Lobos , 1950). Et si les compositions majestueuses et froides d’Ansel Adams (1902-1984, États-Unis), célébrant la nature grandiose de l’Ouest américain, prolongent une imagerie ailleurs dépassée, le fils même d’Edward Weston, Brett Weston (1911), utilisa des formes volontairement très contrastées. Art Sinsabaugh (1924, États-Unis) déroule des espaces immenses dans ses vues panoramiques. Lewis Baltz (1945, États-Unis) saisit l’architecture moderne avec rigueur et subtilité (Industrial Park , 1974).Du document personnalisé au monde fantastiqueLa différence entre la tendance documentaire et la tendance subjective réside moins dans l’apparence des images que dans l’attitude spirituelle initiale du photographe, attitude évidemment difficile à prouver. Aux photographes soucieux de la relation de la forme et du fond – cherchant à montrer au mieux une réalité, même s’il faut pour cela l’interpréter – s’opposeraient des photographes inquiets de la relation entre le sujet et l’objet, s’interrogeant sur leur inévitable interrelation, même s’ils choisissent de se retirer eux-mêmes le plus possible pour laisser place à la présence inaltérée du modèle.Cela fut la leçon de Weston et aussi d’Albert Renger-Patzsch (1897-1966, R.F.A.) et en France des natures mortes d’Emmanuel Sougez (1889-1972) et des portraits de Daniel Masclet (1892-1969). Ainsi le regard intense posé par Jean Dieuzaide (1921, France) sur un bac de goudron, par Robert Morian (Belgique) sur des végétaux, par Jean-François Malamoud (1950, France) sur les surfaces rocheuses va aboutir à des images totalement personnalisées à force de se vouloir fidèles au modèle. De même les roseaux, les sables, les charognes de l’Arlésien Lucien Clergue (1934). Le sentiment de la nature de Paul Caponigro (1932, États-Unis) se nuance d’une extrême délicatesse. Tandis que celui de Denis Brihat (1928, France) s’exprime par tous les raffinements de l’artisanat. La mélancolie de la mort imprègne non seulement les monuments funéraires de George Krause (1937, États-Unis) mais aussi les natures mortes de Jean-Pierre Sudre (1921, France). Pour Detlef Orlopp (1937, R.F.A.), la mer et la montagne s’étagent en austères murailles. Et Keiichi Tahara (1951, Japon) découvre un monde mystérieux dans la lumière d’une fenêtre.En couleur, Eliot Porter (1901-1990, États-Unis) est, comme Ansel Adams (États-Unis), amoureux de la nature qu’il contemple du plus petit détail au plus vaste panorama. Ernst Haas (1921-1986, Autriche), par ailleurs puissant reporter, saisit les rythmes cosmiques dans un livre admirable: La Création (1971). L’Italien Franco Fontana (1933) ramène le sujet à quelques plans dépouillés. Au contraire, André Martin (1928, France) a une sensibilité très impressionniste. John Batho (1939, France) respecte infiniment la douce présence des choses.La photo a une capacité inégalable pour enregistrer les textures de la matière. Mais elle ne le fait que par l’intercession de la lumière. Et comme dans une «recherche fondamentale» propre à la photographie, certains vont descendre dans ces phénomènes de la lumière pour explorer plus profondément leur art. Jean-Pierre Sudre fait passer la lumière à travers la matière même des cristaux, sans l’intermédiaire d’un négatif, et obtient des paysages cosmiques de l’imaginaire. Pierre Cordier (1933, Belgique), prenant le processus habituel à rebours, travaille sélectivement avec les produits révélateurs sur une surface uniformément touchée par la lumière. Ses chimigrammes juxtaposent des éclosions de formes toujours inattendues et pourtant ordonnées. En photographiant des mobiles, Étienne-Bertrand Weill (1919, France) constitue des corps imaginaires dont la matière s’est transmuée en lumière. Heinz Hajek-Halke (1898, R.F.A.) stratifie des matières qu’il met en contact direct avec la surface photographique. Dans les solarisations de Todd Walker (1917, États-Unis), les personnages apparaissent comme enveloppés d’une soie doucement phophorescente. Et, chez Robert Heinecken (1931, États-Unis), la lumière, délicatement filtrée par les épaisseurs des formes en négatif, est comme mêlée à l’intimité de la matière.Les magies du laboratoire peuvent servir de tremplin à toutes les envolées de l’imagination. Jerry Uelsmann (1934, États-Unis) se sert de ses divers négatifs comme une simple matière première. Il les juxtapose dans son image, conciliant des objets venus de mondes différents par les éclats et les douceurs d’une lumière surréelle, dans un même espace fantastique. Ray Metzker (1931, États-Unis), au contraire, part du choc de plusieurs images hétérogènes et de la tension des noirs et des blancs, pour les ramener à un graphisme presque abstrait mais où il subsiste assez de gris légers pour que son espace reste proprement photographique. Le Lituanien Vitaly Butyrin crée des mondes imaginaires en inversant les rapports ordinaires entre le ciel, les nuages et la terre.Dans la lancée de cette exploration, rien n’interdit plus aux photographes d’y mêler les éléments venus d’autres arts. Robert Heinecken a fait des photos-sculptures. Désormais, on ose mêler les techniques les plus diverses, surtout chez les photographes issus de Rochester (États-Unis) mais aussi en Californie et de plus en plus en Europe. On peut couler soi-même une émulsion sensible sur un papier choisi (Betty Hahn, 1940), ou combiner sérigraphie et lithographie (Syl Labrot, 1929), on emploie le cyanotype (Bea Nettles), la xérographie (Joan Lyons, Ruth Breil). On ressuscite la gomme bichromatée, les procédés au charbon. Naomi Savage (1927), Keith Smith (1938) transforment leurs photos en gravures, et les épreuves de John Wood (1922) défient l’analyse technique. Ces recherches admettent le plus souvent la couleur, pour laquelle Todd Walker et Hubert Grooteclaes (1927, Belgique) expérimentent la sérigraphie, Scott Hyde (1926, États-Unis) superpose les passages en offset. La photographie coloriée à la main s’est répandue depuis quelque temps, et Gail Skoff (1949, États-Unis) l’enseigne. La frontière devient indistincte avec des peintres comme Rauschenberg ou Warhol qui utilisent la photo à travers des procédés d’impression. Triturant la surface des polaroïds couleurs, le peintre Lucas Samaras (1936, États-Unis) et le photographe Les Krims (1943, États-Unis) obtiennent des résultats comparables.Auprès de l’art moderne, les sciences sont à l’origine d’un jaillissement inépuisable de formes. Nous ne citerons que quelques photographes scientifiques dont le travail rejoint la pure création. L’Américain Harold Edgerton (1903-1990), dans ses expériences d’instantanés ultrarapides (stroboscopie), rejoint la beauté involontaire des images d’Étienne-Jules Marey (1830-1904, France), précurseur du cinéma. Les photos aériennes de Georg Gerster (1928, Suisse) et d’Alain Perceval (1933, France) nous émerveillent par leur beauté. Et le Suédois Lennart Nilsson (1922) a révélé en de prodigieuses images les structures internes du corps humain.L’espace du rêveLa troisième grande source de nos images ce sont nos rêves, endormis ou éveillés. Depuis longtemps, certains photographes se sont essayés aux compositions surréalistes, à la manière des Magritte et des Dalí, mais avec un succès inégal. La photo, à la fois exacte et manipulable, s’y prêterait pourtant si elle n’aboutissait alors à des montages très artificiels dont les dadaïstes des années 1920 ont épuisé la verve. Bien plus importantes pour la génération actuelle sont les œuvres du poétique Clarence Laughlin (1905-1985, États-Unis), ses paysages mélancoliques de Louisiane, l’univers hanté du grand aîné Josef Sudek (1896-1976), le vieux magicien de Prague, et le monde à la fois familier et empreint d’un mystère bouleversant du prodigieux Ralph Eugene Meatyard (1925-1972, États-Unis). Nous avons déjà vu des auteurs, comme Velsmann, qui atteignent le fantastique par des manipulations de l’image en laboratoire. On pourrait lui comparer le Suisse Rudolf Lichtsteiner (1958) pour ses rapprochements d’objets insolites. Mais plus décisive est la conscience qu’une photo est aussi et d’abord un témoignage sur un moment de la vie intérieure de celui qui l’a faite, Eikoh Hosoe (1933, Japon) se sert tantôt de la photo directe pour raconter une mystérieuse histoire (Kamaitachi , 1969), tantôt des superpositions pour évoquer un univers sensuel et cruel (Ordeal by Roses , 1971). Le Tchèque Jan Saudek (1935) poursuit un rêve étrange et familier. Paul de Nooijer (1943, Pays-Bas) agence minutieusement ses cauchemars irrespirables, Boris Kossoy (Brésil), ses rencontres inquiétantes. Quant à Arthur Tress (1940, États-Unis), il s’intitule le collectionneur de rêves. Parmi ses nombreuses expériences, Floris Michael Neusüss (1937, R.F.A.) fait l’inventaire des apparences de la mort. Mais c’est à la racine de nos idées conventionnelles que Les Krims s’en prend, soit en montrant objectivement des situations ambiguës (The Deers Layers ) ou doucement délirantes (The Last Minority ), soit en dévoilant crûment ses fantasmes les plus intimes, après les avoir reconstitués avec minutie devant son appareil. Duane Michals (1932, États-Unis) affirme que les neuf dixièmes de son travail se font dans sa tête et, pour développer le récit complet de sa rêverie, procède par séquences d’images à la fois liées et discontinues. Le Français Roger Lautru (1932) lui est comparable, et la séquence (déjà inventée par Minor White) a fait depuis beaucoup d’adeptes. Cela alors même que Duane Michals retournait à l’image solitaire, qu’il accompagnait d’un texte, non pas légende limitative mais méditation poétique ouverte à partir de l’incertitude même de toute signification photographique. Il rejoint dans cet esprit poétique l’œuvre de Ralph Gibson (1939, États-Unis) menée avec maîtrise depuis les fantaisies surréalistes (The Somnambulist , 1970) jusqu’à la présence d’objets d’une plastique monolithique (Days at Sea , 1974) mais toujours émergés du monde intérieur des souvenirs et comme «déjà vus». Roger Mertin (1942, États-Unis) est passé, lui aussi, de scènes discrètement fantastiques à la présence fascinante d’un arbre brutalement éclairé.Les jeux de l’imagination sont la grande ressource de la photo de mode et de publicité lorsqu’elle ne s’en tient pas à la routine. Certains y ont atteint une richesse baroque qui rejoint par moments le talent créateur. D’autres, pourtant adulés dans leur profession, réussissent à échapper à la facilité pour s’exprimer sincèrement dans des œuvres remarquables. Ainsi Richard Avedon déjà cité, Irving Penn (1917, États-Unis) et ses portraits de types humains du monde entier, Jeanloup Sieff (1933, France), ses nus et ses paysages d’un élégant dandysme. Tandis qu’un Harry Meerson (1911-1991, France), un Guy Bourdin (1933-1991, France), une Sarah Moon (France), un Hiro (1930, États-Unis) savent trouver dans leur travail quotidien l’occasion d’images intensément personnelles et qui resteront.Au-delà des étiquettesMais la grande découverte des années 1970 est que toute photo est surréaliste. Susan Sontag l’a bien montré. La photographie de famille ordinaire, dans sa spontanéité naïve, mais aussi avec ses conventions étroites, non seulement rejoint le «banalisme» d’un Robert Frank, mais dépasse en bizarrerie les recherches les plus élaborées. Ken Graves et Mitchell Paynes en font un choix extraordinaire dans leur livre Snapshots (1977), tout comme Dave Heath (Canada) dans le Grand Album ordinaire . Dans Portraits of Violet and Al , William De Lappa (1943, États-Unis) évoque la vie d’une petite bourgeoise imaginaire dont il fabrique les photos. Il est alors très proche du travail d’un Christian Boltanski (1944, France) ou d’un Jean Le Gac (1936, France). Rétrospectivement, le journal intime photographique qu’est l’œuvre de Jacques-Henri Lartigue (1894-1986, France) depuis 1901 prend de ce point de vue un singulier relief. Dans The Lines of my Hand (1972), Robert Frank revoit sa vie à travers ses photos quotidiennes. Et Tulsa (1971) de Larry Clark (1943, États-Unis) est une confidence assez poignante. Même un photographe aussi raffiné dans son art qu’Emmet Gowin (1941, États-Unis) prend son inspiration dans la vie familiale. Quant à Nancy Rexroth (Iowa , 1977), elle utilise un objectif très bon marché pour atteindre la qualité intime et rêveuse de ses épreuves.Acceptée la nature très intérieure de la démarche créatrice en photographie, même de froids constats, même des inventaires impassibles peuvent relever de la création s’ils reconstituent un monde original, une mythologie particulière née d’une passion individuelle. Ainsi des parkings et des stations d’essence recensés par le Californien Edward Ruscha (1937). Ainsi la beauté neutre des bâtiments industriels enregistrés par Bernhard et Hilla Becher (1931 et 1934, R.F.A.). Ainsi le livre-somme photographique de Mario Cresci (1942, Italie) sur Matera (1975) ou l’exposition de Hans-Peter Feldmann (1941, R.F.A.) sur Essen (1977).Nous avons déjà remarqué que la distinction entre «photographes» et «artistes» n’a plus guère de sens. Parmi les peintres abstraits, un Wols, un Hartung ont mené une œuvre photographique parallèle à leur peinture. Jacques Monory (1934, France) s’inspire, pour ses tableaux monochromes, de la poésie froide et énigmatique de ses propres photos. David Hockney (1937, Grande-Bretagne) retrouve dans les siennes la délicatesse de son univers coloré. Mais la distinction devient encore plus arbitraire lorsqu’il s’agit d’explorer, par le moyen de la photo, les confins de l’art. Les natures mortes en couleurs (1977), savamment conventionnelles, de Boltanski sollicitent les limites du goût. Et Jochem Gerz (1940, R.F.A.) crée des sortes d’incidents à la frontière des notions reçues.L’espace, thème très photographique (mais plus abstrait encore que la lumière), peut être exploré à l’échelle des paysages ou à celle d’une présence intime. L’Anglais Hamish Fulton (1946) communique par la photo les monuments les plus purs de ses grandes randonnées solitaires à travers les pays encore vierges. Michael et Barbara Leisgen (1940 et 1944, R.F.A.) enregistrent les rapports entre leur propre corps et les paysages. Klaus Ritterbusch (1947, R.F.A.) regarde ces paysages en démontant subtilement leurs façons d’être vus. Ian Dibbets (1941, Pays-Bas) assemble les horizons en élégantes compositions graphiques. John Hilliard (1945, Grande-Bretagne) utilise les effets de profondeurs de champ et de bougé. Ursula Schulz-Dornburg (R.F.A.) analyse poétiquement les variations du point de vue (Ansichten von Pagan , Burma, 1978). John Pfahl (1939, États-Unis) joue des ambiguïtés du regard et de la perspective. Alors que le Hollandais Michel Szulc Krzyzanowski (1949) condense en de puissantes séquences son aventure plastique au contact de son corps, de son ombre et du paysage.Sentant venir sa mort, le reporter et portraitiste Ugo Mulas (1928-1973, Italie) concentra et résuma toutes les notions photographiques fondamentales dans la série des Verifiche . Ken Josephson (1932, États-Unis), dans des images d’aspect subtilement banal ou faussement simpliste, rend sensibles les mystères d’où jaillissent les inépuisables possibilités créatrices de la photographie
Encyclopédie Universelle. 2012.